L’Estive est une scène située à Foix, au fin fond du sud-ouest de la France, dans la plus petite préfecture de France. Ne vous étonnez pas cependant d’y voir un artiste comme Vieux Farka Touré y venir : en effet, l’Estive fait partie du réseau des scènes nationales de France, et peut proposer à ce titre des spectacles de qualité et de notoriété sans rapport direct avec son rayonnement effectif.
C’est grâce à ça que le guitariste malien Vieux Farka Touré est venu nous rendre visite pour un unique concert hier soir. Bien évidemment, pour rien au monde nous n’aurions pu rater ça. Vieux Farka Touré ! Vous rendez-vous compte ?
Je sens qu’il y en a qui se regardent réciproquement avec incompréhension. Une digression s’impose. On lance une vidéo et on digresse.
Vieux Farka Touré est le fils de la légende de la musique africaine, Ali Farka Touré (1939 – 2006). Ali Farka Touré, c’est deux Grammy Awards, c’est l’ouverture de la musique malienne vers le monde, c’est la fusion des mélodies traditionnelles avec le blues américain, c’est un guitariste de talent reconnu internationalement. Mais c’est avant tout un Malien, fier de son pays et de sa culture, qui a œuvré toute sa vie pour son rayonnement. Et c’est tout naturellement, bien que son père ait tenté de l’en dissuader, que Vieux Farka Touré a suivi à son tour la carrière de guitariste.
Retour à l’Estive. Le concert a lieu dans la salle principale, qui sert plus souvent pour les représentations théâtrales que pour les concerts. Nous sommes donc assis dans de confortables fauteuils rouges, bien enfoncés tout au fond. La salle n’est pas totalement remplie, il faut croire que la réputation de la famille Farka Touré n’est pas arrivée jusqu’au fond de l’Ariège. Le public est éclectique, il y a du jeune, il y a du plus âgé. Pas de fan hystérique, en tout cas, c’est plutôt la curiosité qui nous a amené ici. Sur la scène, une guitare électrique, une basse et une batterie attendent leurs propriétaires, sous la lumière des projecteurs. Vieux Farka Touré entre, suivi de deux acolytes, et là, like a boss, il joue.
Pas un mot, pas un bonjour, il entre directement dans le vif du sujet. Et pour commencer en douceur, il choisit comme premier morceau, une ballade tranquille. Immédiatement, toute la salle est sous le charme. Dans sa tenue traditionnelle africaine de couleur jaune, Vieux fait jouer ses doigts avec agilité sur le manche de sa guitare, lui donnant cette sonorité typiquement africaine qu’on retrouve par exemple chez Ismaël Lô. Cette première chanson nous berce gentiment, nous faisant planer dans cette ambiance africaine qui sera le fil rouge de tout le concert. Immédiatement après, il enchaîne avec une chanson plus rythmée, plus blues, mais toujours typée Afrique, pour lancer réellement le concert. Bien calés au fond de nos fauteuils, on profite et admire.
On admire, oui, car Vieux Farka Touré fait preuve d’une dextérité et d’une agilité hors du commun ! Ce n’est pas par hasard si les médias américains, où il a véritablement lancé sa carrière, l’ont surnommé le Jimi Hendrix africain : il peut tout obtenir de sa guitare, enfilant les notes comme des perles à une vitesse remarquable. Il a d’ailleurs une technique surprenante, n’utilisant la plupart du temps pour ses arpèges que le pouce et l’index de sa main droite, le majeur ne venant en renfort que rarement. En réalité, c’est une technique couramment utilisée en blues et country, mais poussée là à un niveau de maîtrise exceptionnel. C’est bien simple, à un moment, j’ai cru qu’il jouait de la kora, la harpe à 21 corde d’origine malienne jouée avec brio par son ami Toumani Diabaté (qui aura droit à un article plus tard).
Les chansons se suivent et deviennent petit à petit plus blues. Par le jeu des réglages des amplis, Vieux Farka Touré fait passer le son de sa guitare de la brillance du son ethnique typiquement africain à un son plus occidental, plus blues. Il se lance dans de très longs solos, où il nous fait admirer toute sa technique. Il commence à communiquer avec le public, nous invitant à taper dans les mains pour accompagner certains morceaux, ou à faire les chœurs sur d’autres. Bon, pour cette seconde expérience, ça n’a pas été évident à lancer, d’autant plus que les petits vieux s’étaient endormis dans leurs fauteuils rembourrés. Mais le reste de la salle se prend bien au jeu, et ça donne au concert une dimension unique d’expérience musicale vécue de l’intérieur !
Arrivé à un moment, il discute un peu avec le public, lui demandant de s’arrêter un instant pour partager une pensée pour la situation actuelle au Mali. Puis, visiblement ému, il dédie une chanson de son père à tous les pères présents.
Ensuite, le rythme s’accélère un peu, alternant entre blues et rock, toujours teinté de musique malienne. Il demande à la salle de se lever et danser, car effectivement, être assis ne convient pas à ce genre de musique ! Les dernières chansons sont donc jouées devant un public debout, conquis, qui acclame chaleureusement chaque solo de l’artiste.
Quelles impressions en retiendrai-je ? Que dans tous les cas, j’ai eu une très bonne idée de venir ce soir, et que je n’aurais pu rater ça sous aucun prétexte. Vieux Farka Touré est un artiste de dimension internationale, qui a joué aux quatre coins du monde. Sa musique, mélange de cultures entre l’Afrique et l’Amérique, est servie par sa dextérité incroyable ! Sa guitare sonne tour à tour comme un instrument traditionnel africain, comme une guitare blues et comme une guitare rock. Il sait tout faire, avec une facilité déconcertante, a une bonne humeur communicative, chante, joue, danse, régale son public. Bref, j’ai acheté le cd à la fin.
Il y a d’autres dates prévues en France : le 12 avril à Rezé, dans la banlieue de Nantes ; le 13 à Maurepas, en région parisienne ; le 29 à Luxembourg (ce n’est pas en France, je sais) ; le 4 mai à Coutances, dans la Manche. Ne le ratez pas si vous êtes dans le coin. Ce n’est pas tous les jours qu’un artiste de sa dimension passe près de chez vous.
PS : j’ai fait quelques photos de qualité tellement médiocre que je n’ose vous en mettre qu’une seule pour illustrer, et encore, en tout petit car sinon elle est trop floue…
Ouais mais non, c’est pas juste : si maintenant tu nous fais des articles sans ironie (Enfin, l’Estive de Foix, really ?), qui transpirent le bonheur que tu as ressenti à l’écoute du concert, comment je te casse en commentaire, moi ? 🙁 En plus, il est vraiment doué, ce gars.
Ça me fait plaisir que ça te plaise, chef. Je voulais justement aborder la question de ma rémunération pour me permettre d’aller voir d’autres concerts en Californie.
Plus sérieusement, ce gars a un talent énorme et mériterait de jouer dans des salles bien plus grandes et bien plus renommées que l’Estive de Foix. Et non, ce n’est pas une blague, je suis prêt à aller au fin fond des lieux les plus paumés pour aller écouter de bons concerts.